06 janvier 1665

Les longues robes noires des médecins et des chirurgiens dessinent des arabasques sur les dalles de marbre du Val de Grâce

Au chevet de sa mère, le roi a convoqué tous les grands nom de la Faculté

Après avoir examiné la tumeur sur le sein, et tenu à voix basse un conseil de guerre, leur sentence tombe: c'est un cancer

Sous les hauts chapeaux pointus, symboles de leur science, les visages trahissent le désarroi

Car si en ce milieu du XVIIIème siècle le nom du terrible mal figure dans le vocabulaire des praticiens, ils sont bien incapables de le soigner

Anne ignore, comme eux, que les fausses couches à répétition de sa jeunesse sont le signe d'un déséquilibre hormonal qui prédispose au cancerdu sein

Au Val de Grâce, la reine mère a vu des religieuses en mourir dans la déchéance physique: " Elle avait toujours eu de l'horreur pour cette maladie si effroyable à sa seule imagination", se rappelle Mme de Motteville

Fière de sa beauté célébrée par Buckingham, Montmorency et les plus séduisants hommes de son temps, elle souhaite la préserver jusqu'au bout

A ses fils, plus anxieux encore que les médecins, elle demande "de ne point se troubler de cet accident, qu'elle était contente de mourir, que cela n'allait qu'à quelques années de moins et qu'elle s'estimait heureuse de ce que Dieu voulait par cette voie lui faire pénitence de ses péchés"

Louis ne l'entend pas de cette oreille

Anne est fille, épouse, soeur et mère de roi: sa maladie est une affaire d'Etat

Mais qui peut la guérir?

Seguin, son médecin attitré, ne sait que saigner, saigner encore, saigner toujours

Le monarque lui recommande plutôt Vallot

Hélas! le premier médecin du roi applique de la ciguë sur la tumeur et ne fait qu'aggraver le mal

Mme de Motteville le lui reproche amèrement

Vallot répond qu'il le sait bien mais qu'il n'est pas seul à décider

Elle s'insurge: " Cette princesse, ne trouvant de secours en personne, fut contrainte de s'abandonner aux passions des hommes qui la tourmentèrent plus que son propre mal"

En conflit avec son confrère, Seguin recommande de faire appel à un curé de la région d'orléans, un certain Gendron

Parti en mission au Canada avec des jésuites pour évangéliser les indiens hurons, ce Gendron a rapporté du lac Erié du sel pétrifié qui, dit-on, fait des miracles sur les tumeurs

Guy Patin, doyen de la Faculté, assiste au défilé des devins, guérisseurs et autres charlatans de province: " Ce sont des impostures...mais le monde veut être trompé"

A ses dames qui s'apitoient, Anne dit d'un pauvre sourire: " Il faut avoir patience"

Sans rien laisser voir de ses souffrances, elle participe aux réjouissances et assiste au grand souper donné ce 06 janvier, par Louis pour le fête des Rois

Les viandes ont été dressées en pyramides

il y en a une telle profusion que pour la première fois, "La Gazette" évoque ce que l'on sert dans les assiettes

Le fils de Théophraste Renaudot ne parle que des heureux évènements

Depuis le début de cette année 1665, il n'a jamais mentionné la maladie de la reine mère